Texte : Florian Baudouin et Susanne van Hooft
Photos : Bente van der Zalm

La matinée était un peu grise, mais le soleil est apparu alors que le vendredi de Pukkelpop démarrait réellement. La programmation d’aujourd’hui est pleine de groupes qui valent la peine d’être découverts. Compte tenu de l’affluence au festival à guichets fermés et des longues distances à parcourir entre les scènes, il est difficile de voir tout ce qu’on voudrait. Le couteau sous la gorge, on fait des choix et on décide de voir Billie Eilish, Boygenius, Yungblud, You Me At Six, Froukje, Rolo Tomassi, Zulu, DIRK. et Hannah Grae.

On démarre cette édition en retournant au Backyard, la scène la plus underground, alternative du site, où l’on avait passé beaucoup de temps l’année dernière. Elle a bien changé ! La scène est désormais en plein air et n’a plus l’air d’être un entrepôt désaffecté. Le soleil tapant très fort en ce vendredi, ce n’est en fait pas l’idéal, mais inutile de faire la fine bouche. On s’apprête donc à découvrir en live Zulu, groupe de hardcore américain aux touches hip hop et soul, venu de Los Angels, ce qu’ils se plaisent à rappeler. Il y a déjà pas mal de monde qui s’est rassemblé devant la scène, mais on a toujours largement la place de circuler. On aperçoit en arrière-plan un drapeau pan-africain accompagné d’une représentation de l’Afrique et du nom du groupe.
Après un court sample, les cinq membres du groupe, tous afro-américains et vêtus d’habits rappelant les tenues traditionnelles africaines, entrent sur la scène, envoient un premier riff bien gras et on est surpris l’espace de quelques instants en voyant le plus frêle des membres du groupe se mettre à balancer d’immenses growls. À l’image du batteur, toujours le sourire aux lèvres, le groupe se montre jovial et occupe bien son espace. Les morceaux sont généralement courts, ce qui ne leur laisse que le temps de hurler leurs messages, pour la plupart en faveur des populations afro-américaines, sur fond de riffs bien lourds. Les morceaux sont entrecoupés de samples, parfois hip hop, parfois soul, au cours desquels ils en profitent pour se présenter et remercier le public. Celui-ci se montre d’ailleurs particulièrement chaud pour un set de début de journée, quelques habitués des pits hardcore envoyant des prises de kung fu dans les airs. C’est un set express, puisqu’annoncé pour 55 minutes, il n’en dure qu’une vingtaine. On comprend mieux pourquoi on ne l’a pas vu passer, mais cela n’enlève rien à la qualité de la prestation et à l’énergie déployée par les cinq gaillards. (FB)

Les fidèles auditeurs des playlists de CHAOS ont souvent entendu la chanson « Stay Indoors ». Aujourd’hui, nous retrouvons le groupe à Pukkelpop, sous un chapiteau bien rempli. DIRK. est un groupe parfait de si bonne heure. Les festivaliers sont encore pleins d’attentes et de bonne volonté, la musique nous invite automatiquement à nous laisser aller. On peut se détendre et s’échauffer un peu. Et là, c’est le cas de le dire, car il fait chaud, même sous le chapiteau. Cela ne semble pas gêner les membres du groupe et quelques spectateurs enthousiastes, mais une autre partie de la foule prend son mal en patience et s’en tient au dégourdissement des muscles de la nuque. En terminant par le tube ‘No’, DIRK. a relâché tous ses freins. C’est ainsi que commence notre week-end Pukkelpop ! (SH) 

Premier passage sur la mainstage pour y voir la chanteuse néerlandaise Froukje. Après une intro électro jouée par les musiciens, la jeune fille apparaît sous les acclamations du public qui la connaît bien. Froukje commence avec “Groter Dan Ik”, l’un de ses premiers singles et premier gros tube. Ses couplets sont souvent très rythmés à la limite du rap et sa voix douce et grave, presque dédaigneuse, a quelque chose de très accrocheur. C’est évidemment très pop, mais très entraînant, on aime bien ! Comme souvent avec les artistes pop, on trouve beaucoup plus d’instruments amplifiés en live qu’en studio, notamment avec ce joli solo de guitare avec du tapping à la fin de “Groter Dan Ik”. Froukje sait aussi se montrer plus émotionnelle comme sur “Licht En Donker” qui débute comme une ballade au piano avant de retrouver les éléments électro habituels. Elle chauffe le public avant le dernier titre, son tube “Ik Wil Dansen” qui invite à danser pour ne pas penser aux problèmes du lendemain. On tique un peu sur l’utilisation d’autotune en live mais bon… allez c’est pas si grave. (FB)

Alors qu’on cherche l’ombre et un peu de crème solaire, on se retrouve devant la scène du Lift. C’est là qu’on entend les sonorités savoureuses de Hannah Grae et de son groupe. Grae a sorti son premier album en avril. Le titre « Hell is a Teenage Girl » est une chanson impressionnante, livrée avec abandon. Par moments, Grae elle-même semble jouer un peu le rôle de la fille à la moue boudeuse et c’est dommage, car la musique n’est peut-être pas très innovante, mais elle est tout de même très agréable. Surtout lorsque les morceaux sont un peu plus lourds et que les musiciens se perdent dans leur musique, cela se ressent fortement. La reprise « What’s Up? » de 4 Non Blondes semble avoir été écrite pour Grae, tant elle se déroule sur la scène avec souplesse. Le groupe et le public se mettent en branle et l’ambiance devient chaleureuse. Mais il fait vraiment trop chaud pour un moshpit, ce ne sera donc pas pour aujourd’hui. (SH)

Fort de près de vingt ans d’une carrière incroyablement riche comprenant six albums partant du post-hardcore psychédélique en passant par le rock emo et tirant parfois vers le black metal, le groupe britannique Rolo Tomassi, mené par la chanteuse Eva Spence, s’apprête à nous faire découvrir à quoi ressemblent leurs lives. Après avoir fait leur apparition sur un sample, les voilà qui démarrent brutalement par “Drip”, avec une Eva Spence hurlant corps et âme à s’en décrocher les cordes vocales, ce qui contraste avec ses pas de danse et sa manière gracieuse d’occuper l’espace. On remarque qu’il n’y a pas de basse. Le claviériste James Spence (le frère de la chanteuse, donc) démarre le morceau suivant en quittant son instrument pour occuper le rôle de deuxième voix, ce qu’il continue à faire après avoir regagné son clavier, sans manquer de maîtrise.Les morceaux varient entre brutalité extrême et moments de répit mélodiques où là encore on a un beau contraste entre le scream d’Eva Spence et sa douce voix claire. Ainsi, on a certains moments de calme, comme des passages de piano, qui sont brisés avec violence pour repartir sur des passages brutaux.au cours desquels on a des parties de batterie impressionnantes entre blast beats et galloping à la double pédale d’une efficacité redoutable. La chaleur est accablante cet après-midi et le soleil cogne fort, alors mention spéciale au public qui se déplace en nombre en plein soleil et au groupe pour cette magnifique débauche d’énergie. (FB)

L’album du groupe belge de rock/math rock Brutus figurait en bonne place dans notre top des meilleurs albums de 2022. C’est donc à juste titre que la Marquee est pleine à craquer pour ce trio. L’endroit est vraiment bondé. Des chansons fortes comme « War », « Brave », « Liar », « Sugar Dragon » et « What Have We Done » déferlent sur le public comme une vague. Il arrive que l’on prenne une pause lorsqu’une chanson est délicatement construite, puis que l’on soit à nouveau emporté par l’élan. Soyons honnêtes : avec la grande voix de la batteuse/chanteuse Stefanie Mannaerts, le groupe dispose d’un atout de taille. Brutus sur la mainstage l’année prochaine ? (SH)

C’est au tour des chefs de la pop-rock britannique moderne You Me At Six de fouler les planches du Backyard. Le batteur Dan Flint arrive seul pour lancer le set avec quelques rythmes avant d’être rejoint par le reste du groupe, vêtus de vestes de costume et de t-shirts blancs, qui lancent le riff de “Deep Cuts” avant d’interpréter ce premier morceau avec une énergie débordante. La couleur est tout de suite annoncée : Les gars de Weybridge sont pleins d’énergie et sont là pour s’amuser tous les cinq et pourquoi pas aussi avec les quelques centaines de personnes venues les voir ! La voix chaude et puissante de Josh Franceschi porte parfaitement les morceaux, tout comme les rythmes efficaces de Flint qui invitent à la fête, à la danse, puisqu’ils ont quelque chose d’un beat de dancefloor. Le groupe implique également le public en vociférant des instructions pour lancer un moshpit avant “Bite My Tongue”, ce qui se révèle plutôt efficace du côté du milieu de la fosse, puis c’est tout le public qui va se prendre à danser sur “What’s It Like” et encore davantage sur “Suckapunch” où le public saute du premier au dernier rang, avant de terminer en beauté sur “Beautiful Way”, la voix de Franceschi ne montrant aucun signe de faiblesse. (FB)

Avant même que l’enfant terrible britannique Yungblud n’entre en scène, il se chauffe et chauffe la foule en regardant la caméra d’un air pénétrant. Il tire une nouvelle bouffée d’un joint et monte sur scène comme un boulet de canon. Auparavant, nous étions curieux de savoir s’il serait à la hauteur des attentes suscitées par sa présence en tant que tête d’affiche. Mais le concert débute avec le très entraînant « 21 Century Liability » et il apparaît clairement qu’il est capable de bien emballer la foule. Il ne lui faut pas longtemps pour entraîner la foule du premier au dernier rang. Yungblud a maintenant beaucoup de chansons accrocheuses à son actif, comme « Lowlife », « Anarchist » et « Parents », et il joue son rôle de rebelle avec brio. (SH)

Quel contraste entre la performance de Boygenius et celle de Yungblud. Ici, pas d’égos qui s’agitent et se donnent en spectacle : ce sont des musiciennes professionnelles qui jouent un set. Les trois femmes qui composent Boygenius (Phoebe Bridgers, Julien Baker et Lucy Dacus) ont chacune leur propre carrière ; ici, sur scène, elles sont toutes les trois égales. Elles jouent un set varié, l’une puis l’autre prenant les devants. Sur les morceaux plus rythmés, elles sont plus massives que sur l’album. Sur les chansons plus calmes, la Marquee se fait aussi discrète qu’une souris. Elle est remplie de fans ; chaque annonce d’une nouvelle chanson est accueillie par des acclamations et les chansons sont généralement chantées en chœur. L’atmosphère est détendue et on chante spontanément l’anniversaire de Phoebe Bridgers. Un des moments les plus forts est celui où Phoebe Bridgers s’adresse au public pendant l’impressionnante « Letter to an Old Poet ». À ce moment-là, le Chapiteau ressemble à un grand salon. Le set progresse régulièrement vers son apogée, mais malheureusement, la compétition avec Billie Eilish se profile à l’horizon, car beaucoup de gens se précipitent vers la scène principale pour voir cette autre femme forte (SH).

On arrive enfin au premier très gros morceau de cette édition, avec Billie Eilish, qui headline cette première journée. On a l’impression qu’elle a toujours fait partie du paysage musical international, mais pourtant elle n’en est qu’à son deuxième album, sorti en 2021, le premier en 2019 avec un premier EP en 2017. Et on a déjà le sentiment qu’elle n’a plus rien à prouver. Je ne l’avais personnellement jamais vue, et étais donc particulièrement curieux et impatient de la découvrir en live. 
Et bon, par où commencer… Billie, elle, commence par “Bury A Friend”. Très rapidement, une chose nous saute aux yeux et aux oreilles : un nombre infini de parties vocales sont samplées, et ce durant la totalité de la première partie du set. On est donc sur du playback, qui n’est même pas dissimulé, puisqu’à de nombreux instants, on voit simplement Billie s’agiter frénétiquement sur un fond d’elle qui chante. Après de longues minutes de cette mascarade, j’étais déjà énervé et avec un gros a priori négatif sur la suite du set.
Parlons maintenant du public. La mainstage était évidemment pleine à craquer, mais comme on en avait fait l’expérience avec Yungblud quelques heures auparavant, à chaque fin de chanson, ou chaque fois qu’il se passe quelque chose, on entend simplement quelques fangirls de 14 ans au premier rang, accompagné d’un silence assourdissant de la part du reste du public si bien qu’on se sent franchement mal á l’aise. Soudain, voilà qui vient sauver le set, le frère de Billie Eilish, Finneas (qui sera d’ailleurs applaudi avec plus d’enthousiasme que Billie elle-même) , la rejoint sur scène avec sa guitare pour interpréter quelques titres acoustiques. Exit, les samples donc, Billie chante ! Et sur ce passage, c’est plutôt pas mal et même très bien ! Finneas reste sur scène après la fin de la séquence acoustique, et même lorsque les morceaux sont à nouveau interprétés de la manière originale, Billie se réveille, et chante beaucoup plus qu’au début du set. Je trouve assez triste de devoir s’extasier sur le fait qu’une chanteuse chante, mais passons… Lorsqu’elle le fait, il n’y a rien à dire. Le public également semble se réveiller. Y a-t-il un lien de cause à effet ? Sur la fin, elle interprète certains gros tubes tels que “When The Party’s Over”, “All The Good Girls Go To Hell”, “Bad Guy” évidemment, et finit sur “Happier Than Ever”, au cours de laquelle un feu d’artifice est lancé, comme pour conclure en beauté un show dantesque. Le problème c’est qu’une bonne partie du show était d’une rare indigence, l’effet recherché tombe donc complètement à plat en ce qui me concerne. Expérience en très grosse demi-teinte pour nous. (FB)

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